Alfredo Arias investit la salle Jean Tardieu du Rond-Point avec non pas un, non pas deux mais trois spectacles musicaux qu’il présente comme le "carnet de retour vers son passé".
Alfredo Arias, Sandra Guida et Alejandra Radano dans Cabaret Brecht. Brigitte Enguérand
Au fil de ses voyages à Buenos Aires, le célèbre auteur-conteur-comédien-metteur en scène d’origine argentine a rassemblé tout un bouquet de souvenirs, d’anecdotes, de mythes, d’histoires et de collaborations artistiques qui donnent naissance à ces trois créations, véritable promenade en Alfredo-Arias-Land.
Tatouages
"Tatouages" raconte l’exil d’un chanteur de music-hall homosexuel, Miguel de Molina, persécuté par le régime franquiste, qui trouve refuge en Argentine sous l’aile de la mythique Eva Peron, proche de sa fin. Ce dialogue imaginaire entre les deux divas pourrait se résumer à cette phrase d’Eva : "vous avez été un pédé pour le franquisme et moi, une pute pour l’oligarchie de mon pays". On retrouve dans ce texte beaucoup d’obsessions propres à Arias et il vaut mieux connaître un peu le contexte pour apprécier ce spectacle dans toutes ses subtilités, mais l’émotion est là, surtout au moment de l’agonie d’Eva, sublimement interprétée par Sandra Guida, tour à tour hiératique, mutine, tragique ou bouffonne. Miguel est joué à la fois par trois comédiens chanteurs dont Arias lui-même, pendant que pétulante Alejandra Radano scande l’histoire d’apparitions burlesques superbement maîtrisées, incarnant tour à tour un travelo concurrent de Miguel et une "vache" de la bonne bourgeoisie argentine (avec cornes et meuglements ad hoc) qui le poursuit dans le monde entier pour lui offrir sa main.
Trois tangos
Une partie de cette fine équipe se retrouve dans "Trois Tangos", sorte d’opérette-boulevard jouée et chantée en trois langues et trois époques successives (l’Argentine d’avant-guerre, l’Italie des années 50 et le Paris des années 70). Le premier tableau, situé à Buenos aires dans les années trente, est précédé d’une fabuleuse démonstration de tango des danseurs Maria Filali et José Rodriguez, mais la suite du spectacle peine plus à convaincre. Il faut dire que la création musicale d’Axel Kryger ressemble surtout à un collage de citations. Le livret exploite des situations cliché, trois variations un peu gratuites sur le trio mari-femme-amant ; on peut regretter qu’il joue essentiellement sur la dérision et le vingt-cinquième degré, limitant le potentiel d’expression dramatique de la troupe. Heureusement le baroque visuel est au rendez-vous avec les costumes ébouriffants de Pablo Ramirez.
Cabaret Brecht
Les dimanches en revanche, il faut se précipiter pour applaudir Alejandra Radano et Sandra Guida, aussi formidables l’une que l’autre, qui réinventent, une heure durant, le noble art du music-hall dans leur "Cabaret Brecht Tango Broadway" : un petit bijou de méli-mélo musical où leur talent explose, soutenu par une mise en scène sobre et précise d’Arias qui nous rappelle avec quel brio il sait parcourir toutes les gammes de l’émotion. L’excellent jeu pianistique d’Ezequiel Spucches y sert la fine fleur du répertoire : Sondheim, Kurt Weill, Piazzolla, et l’inoubliable "Caminito" de Juan de Dios Filiberto dont on découvre en hurlant de rire la version japonaise.