Birmanie : interview de Sein Win

Depuis plus d’un mois, des dizaines de milliers de Birmans manifestent et bravent le pouvoir militaire en place, sous l’œil incrédule des médias occidentaux. Selon Sein Win, premier ministre du gouvernement d’opposition en exil à Washington et cousin d’Aung San Suu Kyi, leader du mouvement pro-démocratique, c’est la plus importante mobilisation du peuple depuis 1988. De passage à Paris, du 25 au 30 septembre, il a accepté de répondre à nos questions.


Sin Wein dans les locaux dans les locaux d’Info Birmanie- E.L/Lemagazine.info

Lemagazine.info : Selon vous, y avait-il des signes avant coureurs de ce mouvement de protestation ?

Sein Win : La résistance n’a jamais cessé, même si elle était étouffée. Or depuis le mois d’août 2006, elle renaît. En octobre 2006, le mouvement Génération 88, créé par des étudiants issus de la révolte de 1988, a adressé une pétition au chef de l’Etat birman pour la libération des prisonniers politiques, avec copie aux Nations unies. Cette pétition a récolté 535 000 signatures en moins d’un mois, ce qui est extraordinaire au regard des risques encourus par la population. Par conséquent, on savait bien qu’un soulèvement des civils était possible, mais il faut avouer que l’ampleur des dernières manifestations nous a surpris. Il faut savoir qu’en Birmanie, le peuple ne reçoit aucune éducation, ni aucune aide sociale. La corruption règne et la liberté de la presse n’existe pas. Aussi, même si la récente augmentation des prix a été le déclencheur du mouvement actuel, je pense que son importance est due avant tout à l’intervention des moines, le 28 août dernier. Ils exercent une autorité morale sur la population, et sont en contact permanent avec elle, puisque pour se nourrir, les bonzes passent de porte en porte, et récoltent ce que les Birmans peuvent leur offrir.

Lemagazine.info : Vous venez de faire référence à l’augmentation des prix. Pour autant, pouvait-on prévoir que celle de l’énergie prendrait de telles proportions ? En quelques mois, l’essence a tout de même augmenté de 66 %, le diesel de 100 % et le gaz de 535 %.

Sein Win : Non, en fait c’est la junte birmane qui décide des prix. L’économie de marché n’a pas cours en Birmanie et il n’y a pas de compétitivité entre les entreprises. La junte militaire a une position de monopole. Elle commande. Et elle a décidé d’augmenter les prix sans crier gare. Les Birmans n’ont accès que très peu à l’information et le pouvoir militaire ne prend pas la peine de les informer. Ce fut le cas avec cette augmentation massive et unilatérale.

Lemagazine.info : La Birmanie dispose pourtant d’importantes ressources naturelles, notamment gazières. Pourquoi ne profitent-elles pas à la population  ?

Sein Win : La Birmanie dispose effectivement d’importantes ressources en gaz (ndlr : en 2006, British Petroleum estimait les réserves de gaz de la Birmanie à 538 milliards de mètres cube). Mais le pouvoir exporte tout, entièrement tout. Et il importe uniquement ce dont il a besoin et fait en sorte que la population paie pour accéder aux produits importés. De cette manière, il reçoit les revenus des exportations, doublés de ceux de la consommation. Le pouvoir ne cherche pas à construire le pays. Tout ce qui l’intéresse, c’est de gagner de l’argent. Il ne pense pas au peuple, même si, de toute évidence, le bois, le gaz ou encore les minerais, qui font la richesse de la junte militaire, appartiennent d’abord au peuple birman.

Lemagazine.info : On reproche souvent à la Chine de soutenir le pouvoir en place. Qu’avez-vous à dire sur ce point ?

Sein Win : La Chine a de nombreux intérêts en Birmanie. En plus du gaz, la traversée du pays offre à la Chine un accès privilégié à l’océan indien, et par extension, aux côtes africaines, où elle investit massivement. De fait, la Chine profite tout simplement de ces bonnes relations avec le pouvoir birman. Pourtant, dans son propre intérêt, la Chine ne devrait pas bloquer les interventions du Conseil de Sécurité. Elle devrait au contraire participer à la stabilisation du pays et permettre un développement économique plus important. Malheureusement, aussi longtemps que la junte militaire sera au pouvoir, il n’y aura ni stabilité, ni développement économique dans mon pays.

Lemagazine.info : Comment la communauté internationale peut-elle intervenir ? Quel type de sanctions souhaiteriez-vous voir appliquer à l’encontre de la junte militaire ?

Sein Win : La Communauté internationale peut jouer un grand rôle pour débloquer la situation. Mais pour le moment ce ne sont que des belles paroles. Les autorités occidentales ne veulent intervenir que lorsque la situation leur sera favorable, alors qu’il faut avant tout aider le peuple birman. Selon moi, il faudrait sanctionner les entreprises présentes sur place et dans les secteurs clés du pays (bois, gaz, minerais) qui coopèrent avec la junte. Beaucoup de pays, comme la Malaisie et l’Australie, ne veulent pas punir leurs entreprises, avançant l’argument que cela serait nuirait d’abord au peuple birman. Ils préfèrent attendre une décision de l’ONU. Mais je le dis : aucun investissement étranger ne profite aujourd’hui à la population.

Lemagazine.info : Samedi, l’émissaire spécial de l’ONU pour la Birmanie, Ibrahim Gambari a été reçu par la junte militaire. Cela vous parait-il être une bonne chose ?

Sein Win : Oui, c’est une très bonne chose. Le peuple va se sentir soutenu, puisque la communauté internationale se déplace et prend acte de la situation. Mais je ne crois pas à la transition du régime civil, car tout dépend du bon vouloir du généralissime Than Shwe, qui est un jusqu’au-boutiste. C’est lui qui tient le régime.

Lemagazine.info : Pour autant, l’opposition souhaite-elle toujours entamer une discussion avec le pouvoir militaire pour engager un dialogue démocratique ?

Sein Win : Le monde entier condamne le pouvoir en place. En l’état actuel des choses, comment voulez-vous discuter avec ses représentants ?

Pour en savoir plus  : www.info-birmanie.org 

Propos recueillis par



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Le 30 septembre 2007

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