C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde

Au théâtre du Rond-Point jusqu’au 2 octobre, le collectif Les filles de Simone s’interroge avec force dérision et lucidité sur le basculement que représente la maternité dans la vie d’une femme : car en devenant mère, quelle femme veut-on réellement être ?


©Giovanni Cittadini Cesi

Sur le petit plateau de la salle Roland Topor du théâtre Rond-Point, deux actrices distribuent des verres d’eau aux spectateurs qui s’installent. Ce lien poreux entre salle et plateau donne le ton : les deux jeunes femmes ici présentes, Chloé Olivères et Tiphaine Gentilleau, jouent de jeunes mères et le sont aussi dans la vie. Ainsi, entre représentation et autofiction, le spectateur sera pris à parti pendant une heure.

L’intime et le politique

Les interdits alimentaires, la médicalisation systématique, le suivi de grossesse intensif constituent la première approche de son nouvel état pour une femme enceinte dans notre société. Avant même qu’elle ait pu considérer ce moment comme sacré ou extraordinaire. Sur la base de ce constat et de ce vécu, les deux actrices mettent en scène, grâce à des accessoires simples (ballons gonflables, post-it…) et éclairages minimalistes les injonctions morales et sanitaires qui s’attachent à cette onde de choc vécue par la femme française contemporaine.

Cette femme, dont les deux actrices représentent diverses facettes afin de constituer un portrait élargi, porte aussi en elle l’histoire des combats féministes, s’inscrit dans une tradition de figures de référence (Simone de Beauvoir, Elisabeth Badinter…), doit suivre des protocoles médicaux spéciaux mais reste également éveillée à des approches plus naturelles. Tout en devant gérer sa place de femme indépendante dans la société.

Pour trouver son espace de liberté, parvenir enfin à s’écouter et à se faire respecter, elle doit donc louvoyer entre ces zones multiples. La pièce raconte ainsi comment une actrice est sommée, par sa propre patronne, de se rendre disponible à tous les horaires de répétition « comme si de rien n’était » malgré une grossesse avancée.

Clownerie et truculence 

Durant une heure, les deux actrices s’en donnent à cœur joie : elles nous racontent à corps et à cris, sur un texte de Claire Fretel, ce moment de bascule où une femme devient mère. Chavirées par maintes questions existentielles et sociales, confrontées aux dilemmes de la femme contemporaine prête à assumer tous les rôles sociaux tout en devant se ployer aux nouvelles contraintes de son corps, Chloé Olivères et Tiphaine Gentilleau miment, crient, pleurent, s’enthousiasment et se désespèrent, s’interrogent sur elles-mêmes et interrogent la société. Sans jamais prétendre apporter de réponse définitive, elles brandissent l’humour, l’autodérision et la clownerie pour représenter, sans aucun dogmatisme, cette entrée en maternité.

La salle rit, l’effet cathartique advient : la crudité du propos, la représentation des peurs, des comportements parfois naïfs, des questionnements, parlent à chacun(e). On retiendra notamment la scène où les actrices contrefont deux approches de la grossesse en France : liste d’interdits sanitaires assénée par un médecin pressé et dénué de toute empathie, puis plongée dans un cours new age de préparation à la naissance, où les diktats du tout naturel se transforment en caricature d’un retour à un état sauvage peut-être définitivement perdu.

C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde - Les filles de Simone : Claire Frétel, Tiphaine Gentilleau, Chloé Olivères – Jusqu’au 2 octobre au Théâtre du Rond-Point


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Le 24 septembre 2016

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