De jeunes professeurs en demande de formation

Fraîchement diplômés, les professeurs stagiaires sont plongés depuis la rentrée dans le grand bain de l’enseignement, sans formation préalable et bien souvent désemparés. C’est pourquoi, certains d’entre eux ont créé le collectif « Stagiaires Impossibles ». Ils appellent à manifester devant le ministère de l’Éducation nationale à Paris, début décembre, pour marquer l’entrée dans le second trimestre sans amélioration de leurs conditions de travail et de formation. Lemagazine.info a rencontré « Princesse Soso », professeur d’anglais, et Louise, professeur d’histoire-géographie en collège. Elles nous ont livré, anonymement, leur regard sur cette situation.



Lemagazine.info : Qu’est-ce qui a changé dans la formation des professeurs-stagiaires depuis la rentrée ?

Louise :
Jusqu’à la rentrée, les profs-stagiaires assuraient, pendant une année, huit heures de cours par semaine, sous forme de stage, et le reste du temps, ils suivaient une formation théorique. Depuis septembre 2010, ils commencent l’année par huit semaines de 12 à 18 heures de cours, avant de recevoir un semblant de formation théorique, puis retournent directement sur le terrain.

C’est très compliqué à gérer car ils n’ont pas le temps de préparer leurs cours correctement, ni même de souffler. Ils ne savent absolument pas comment organiser et mener un cours. On risque donc de voir bientôt un taux de démission très élevé parmi ces jeunes profs, pour cause d’arrêts maladie, ou simplement d’un dégoût du métier. La pression est énorme pour ceux à qui l’on confie les élèves qui préparent le brevet ou le bac. Une réalité pourtant contraire à la promesse faite par le ministère de l’Éducation nationale. Enfin, les élèves voient leurs professeurs changer durant l’année : les professeurs-stagiaires s’absentent pendant leurs courtes périodes de formation et doivent alors être remplacés. C’est déstabilisant pour les élèves.

Lemagazine.info : Princesse Soso, pourquoi avoir abordé le sujet sur votre blog ?

Princesse Soso : J’ai reçu beaucoup de mails de jeunes professeurs – lauréats du CAPES [Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré, NDLR] et de l’Agrégation en 2010 – qui se retrouvent sans transition à devoir assurer 18 heures de cours hebdomadaires. Depuis, j’ai décidé de donner quelques conseils sur mon blog pour gérer leur classe, entre autorité et relation de confiance. J’aurais aimé être aidée quand j’ai été lâchée dans l’arène, et je pense que mon expérience peut leur être bénéfique.

La solidarité et l’écoute ne doivent pas disparaître. Mais je constate, malheureusement, que peu de professeurs chevronnés tiennent des blogs de « conseils » pour ces nouveaux profs-stagiaires. Même sur le terrain, beaucoup d’entre eux n’ont pas le temps ou l’envie de prendre sous leur aile ces jeunes diplômés un peu perdus. Est-ce un manque de motivation, un manque de solidarité ou un manque d’intérêt pour le travail en équipe ? Dans mon collège, par exemple, les tuteurs qui accompagnent les nouveaux professeurs ne sont pas présents sur place. Ils dépendent d’autres collèges. Comment assurer alors un bon suivi, sans être directement sur place pour encadrer, conseiller, rassurer les professeurs débutants ?

Lemagazine.info : Comment les jeunes profs gèrent-ils la situation une fois sur le terrain ?

Princesse Soso :
Les stagiaires tiennent le choc, pour le moment, malgré l’absence totale de préparation. L’enseignement passe également par un rapport de confiance entre le professeur et ses élèves, et cela prend du temps. Mais il ne peut pas s’établie dans l’état actuel des choses. Ces jeunes professeurs n’ont pas le temps d’approfondir leur travail. Ils doivent gérer cinq ou six classes – contre trois auparavant –, réparties sur trois ou quatre niveaux différents. Certains professeurs reçoivent des classes de troisièmes ou de terminales, qu’ils doivent préparer aux examens. C’est une énorme responsabilité.

Lemagazine.info : Qu’est-ce qui ne fonctionne pas aujourd’hui ?

Princesse Soso : L’Éducation nationale demande aux professeurs d’assurer de plus en plus de rôles : infirmier, assistant social, conseiller d’orientation, conseiller conjugal des parents, de jouer un rôle éducatif et parental, d’enseigner la sécurité routière, parfois même de faire office de femme de ménage ! Chacun doit retrouver sa place et assumer son rôle.

Par ailleurs, le collège unique [dont le but est, depuis 1975, d’accueillir dans un même type d’établissement tous les élèves de la sixième à la troisième et de leur offrir un enseignement identique afin d’élargir l’accès à l’éducation, NDLR] ne permet pas de faire des cours adaptés à chaque profil, à chaque parcours. L’hétérogénéité entre les élèves est bien trop grande. Il n’y a plus de classes passerelles ou relais. On ne fait plus redoubler les élèves non plus. Les problèmes les suivent alors sur le long terme, sans être réglés. De plus les effectifs et les horaires sont surchargés. Cela disperse les élèves. Et l’enseignant aura du mal à trouver un équilibre entre des cours trop courts et des élèves trop nombreux et trop différents.

Lemagazine.info : Quelles solutions suggérez-vous pour améliorer les conditions de travail de ces professeurs-stagiaires ?

Louise : Il fallait évidemment revoir la formation des professeurs et réformer l’IUFM [Institut Universitaire de Formation des Maîtres, NDLR], mais pas seulement sous l’angle des économies qui pouvaient être réalisées. Nous devons aussi proposer une alternative prenant en compte l’aspect humain : les rapports entre les profs et les élèves, l’importance de consacrer du temps à chaque élève, de s’adapter à chaque situation propre. De manière générale, nous manquons cruellement de moyens, ce qui nous empêche d’exercer correctement notre métier. Il faudrait notamment de plus gros budgets pour mettre en place des projets éducatifs, comme des sorties scolaires ou des échanges avec d’autres classes.

Princesse Soso : Dès le début des études post-bac, il faudrait mettre en place des stages d’observation dans différents établissements, plus ou moins « difficiles » et, si possible, des stages de pratique à partir de la Licence, ainsi que des rencontres avec différents enseignants, qui pourraient prodiguer leurs conseils. Il faudrait que les jeunes enseignants soient conscients de ce que signifie être face à des élèves. Au concours du CAPES comme à celui de l’Agrégation, le prof devrait également être jugé non seulement sur son savoir, mais aussi sur sa capacité à réagir en situation, une faculté que seule une formation pratique et concrète permet de développer.


Le blog de Princesse Soso : http://foodamour.free.fr.


Partagez avec Facebook

Le 23 novembre 2010

galerie photos