Fantani Touré : une voix africaine

Fantani Touré est malienne. Son quatrième album « Awo », sortira en France et dans le monde en septembre. Au Mali, c’est un succès depuis février. Entre 1995 et 2003 ses premiers disques, produits par Salif Keïta, ont remporté là-bas toutes les victoires (meilleur album, meilleure artiste, meilleures ventes). Depuis 2001, elle dirige une association pour améliorer la vie de son pays, rehausser sa culture et ses traditions. A l’heure où beaucoup pensent que l’Afrique sera sauvée par ses femmes, nous l’avons rencontrée pour parler de sa musique et de ses engagements.


Fantani Touré - Pierre-Olivier Bannwarth/Lemagazine.info

Lemagazine.info : Il y a 11 nouveaux titres sur cet album.

Fantani Touré : J’ai écris tous les textes. J’ai composé les musiques avec Ray Lema qui a aussi fait les arrangements. C’est un géant de la musique africaine, je suis très heureuse d’être son élève et d’avoir découvert une nouvelle façon de travailler à ses côtés.

Lemagazine.info : Dans chacune de vos biographies, on peut lire que vous avez été formée à « l’Ecole de la Sagesse Divine », c’est quoi exactement ?

Fantani Touré : (elle rit) ça veut dire que tout ce que j’ai reçu, je l’ai reçu selon la tradition orale. J’ai été formée par des sages, par des vieilles personnes, des artistes, des connaisseurs. Quand on parle du « vieux sage » ça signifie beaucoup de choses en Afrique. Encore aujourd’hui, je suis à l’école de ces vieilles personnes et j’y serai jusqu’à la fin de ma vie. La semaine dernière, avant de revenir en France, j’ai encore passé 2 jours auprès de l’une d’elles. Ces personnes me critiquent ; c’est à travers elles que je me corrige, que je cherche, que je comprends où je dois mettre mes pieds.

Lemagazine.info : Traditionnellement, la musique est dévolue aux griots. Vous êtes d’origine noble, comment votre carrière est-elle devenue possible ?

Fantani Touré : Je ne suis pas une griotte, c’est vrai. A l’origine, ma famille appartient à la royauté : les Touré de Bamako figurent parmi les premiers habitants de Bamako. A 7 ans, j’ai commencé à suivre les activités culturelles de Bosola, mon quartier natal. Mes parents n’y ont vu qu’un amusement. Pour devenir chanteuse ça n’a donc pas été facile. Chanter est une chose indigne pour une princesse. Il m’a fallu convaincre tout le monde parmi les notables, à la télé, à la radio, dans les journaux. Aujourd’hui chacun connaît mon histoire. C’est la rencontre avec le musicien Salif Keïta, prince du Mandé au parcours similaire, qui a fait évoluer les choses. Mon premier album « N’tin Naari » (« Je vous salue ») a été le premier album produit par son studio. C’est ainsi que mes parents ont su que je ne faisais que suivre les traces de mon destin. Aujourd’hui les Touré et les notables occupent les premières places dans mes spectacles !

Lemagazine.info : C’est un paradoxe : rebelle de la famille, vous soutenez ardemment la tradition.

Fantani Touré : Je n’ai jamais été rebelle contre mes parents, même s’ils ne voulaient pas que je sois artiste. Grâce à Dieu, ils ont compris. Défendre la tradition africaine, particulièrement malienne, est tout à fait naturel. C’est ce qui m’a élevé. C’est là que je suis née et que je vais rester. On ne peut être soi-même que par rapport à ses racines.

Lemagazine.info : D’où l’importance des instruments traditionnels dans votre musique ?

Fantani Touré : Je n’ai rien contre les musiques électroniques. C’est la culture d’un autre pays. Je suis curieuse et j’aime la diversité. Mais mes deux pieds sont ici ! Cette base est indispensable. Après seulement je peux aller écouter chez les autres, voir quel jumelage est possible.

Lemagazine.info : Dans vos chansons, il y a beaucoup d’hommages à ceux que vous aimez, à votre pays, au Prophète (Mahomet), aux maliens et aux africains.

Fantani Touré : Dans ma chanson « Malibala », j’invite les émigrés maliens à rentrer chez eux. Il faut qu’on se donne la main pour reconstruire l’Afrique. L’air pur, le respect humain et la religion sont au Mali. Je les invite à revenir mourir sur leur terre. Seulement, beaucoup préfèrent mourir expatriés. Parfois, ne trouvant rien pour leur famille, ils ressentent une honte à revenir les mains vides. Pour moi ce n’est pas une honte. Dieu lui-même nous dit de changer d’endroit si nous ne trouvons pas la paix où nous sommes. Si ta chance n’est pas là, déplace-toi, fais des va-et-vient, la terre est grande ! Bien sûr qu’il y a en France des Africains qui ne sont pas là par amour du pays, mais quand on peut gagner en une heure ce qu’on gagne là-bas en une semaine… Et puis l’Histoire le prouve, la France ne peut pas aller sans l’Afrique. Aujourd’hui, c’est surtout de respect dont on a besoin. Sans respect, on n’arrivera à rien. Très tôt, ma culture m’a montré qu’il n’existait pas de différences entre les personnes. Qu’on arrête de se moquer les uns des autres ! Si Dieu a donné une faveur à l’un, ce dernier n’a qu’à aider l’autre à son tour, celui qui n’a pas de force !

Lemagazine.info : Parlons justement de Kolomba, l’association que vous présidez, qui vise à améliorer les conditions socio-économiques du Mali.

Fantani Touré : Kolomba (Le grand puit) est dirigée par des artistes, des artisans de Bamako et moi-même. Nous travaillons à valoriser le patrimoine culturel du Mali, nous permettons à des jeunes, et surtout à des femmes en difficulté, d’accéder à une formation et à un métier d’art ou d’artisanat. Nous luttons aussi contre l’excision. Aujourd’hui, 65 personnes travaillent grâce à Kolomba.

Lemagazine.info : L’excision est interdite depuis 8 ans au Mali.

Fantani Touré : Oui, mais elle existe toujours. Je suis allée trouver des exciseuses et je leur ai demandé pourquoi. Elles m’ont répondu « pour l’argent ». Aussi, en échange de leurs couteaux d’exciseuses, je leur ai trouvé un travail au sein de l’association. Nous voulons désormais construire un vrai centre sur un terrain confié par le gouvernement. Malheureusement, nous manquons de moyens pour développer les activités et les projets de Kolomba. Nous avons plus besoin de matériel que d’argent pour rendre ces personnes autonomes. Je voudrais aider tout le monde mais le Bon Dieu m’a dit que ce n’était pas possible ! Alors je profite de cette interview pour lancer un appel aux lecteurs et aux entreprises : nous avons besoin de soutien, de matériel neuf ou ancien (ordinateurs, téléphones portables, fax, imprimantes, etc.), nous manquons de tout cela.

Lemagazine.info : L’album qui sortira en septembre s’appelle « Awo », qu’est-ce que cela signifie ?

Fantani Touré : « Awo » signifie « oui ». C’est le titre d’une chanson dans laquelle je dialogue avec le public. J’y parle du mensonge et de la vérité. Je raconte que le mensonge peut marcher loin devant la vérité, pendant des années. Seulement quand la vérité se lève, c’est en un jour qu’elle le rattrape ! Disant cela je demande « C’est vrai ou c’est faux ? », et le public répond « awo ! » C’est vrai.


Retrouvez Fantani Touré sur http://www.myspace.com/fantanitoure. Pour soutenir l’association Kolomba ou obtenir des information : kolombamali@yahoo.fr ou Kolomba –Le grand puit- Chez Fantani Touré Rue 380 ; porte 102 Magnanbougou –BP 39 –42- BAMAKO – MALI-


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Le 1er juin 2007

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