Interview : Barah Mikhaïl

Chercheur à l’IRIS, et spécialiste des questions relatives au Moyen-Orient, Barah Mikhaïl, revient sur les phénomènes démocratiques dans le monde arabe. Il en appelle au relativisme culturel et à la prudence concernant les tentations d’ingérence occidentale.
 

D.R
 
Le Magazine.info : Comment analysez-vous les changements démocratiques en cours au Moyen-Orient ?
 
Barah Mikhaïl : Est-ce l’invasion américaine en Irak, qui a provoqué cette démocratisation ? A priori, non. Il ne faut pas y voir de liens. En Irak, il y a effectivement eu des élections, mais sans démocratie. Tous les peuples de la région sont soucieux de pouvoir voter, mais cela ne signifie pas qu’il y ait une adhésion au discours américain. On constate que la liste sortie grande gagnante des élections irakiennes est l’Alliance Irakienne Unifiée, composée de formations opposées à la présence américaine. En ce qui concerne le Liban, il ne faut pas oublier que les manifestations populaires sont le fruit de l’assassinat de Hariri, donc d’un événement extérieur et non d’un processus naturel.
 
Le Magazine.info : Quel est l’avenir de la démocratie irakienne, morcelée entre les différentes composantes communautaires ?
 
Barah Mikhaïl : Il ne s’agit pas encore d’un communautarisme abouti, puisqu’il y a pas encore d’unité nationale irakienne. Avant la guerre, même si le communautarisme existait en Irak, il n’était pas érigé en discours national. En l’état actuel des choses, le mieux serait que l’Irak évolue vers une Fédération même s’il existe, à terme, un risque de partition.
 
Le Magazine.info : Ces changements démocratiques peuvent-ils venir des populations elles-mêmes, sans pression internationale ?
 
Barah Mikhaïl : Il faut bien prendre en compte le fait que la démocratie n’est pas forcément une valeur universelle. Prenons garde à ne pas l’imposer à des peuples qui se réfèrent à d’autres systèmes de pensée. Si les Afghans n’avaient pas pu voter, n’auraient-ils pas pu s’organiser selon d’autres modalités ? Je suis plutôt favorable au relativisme culturel à partir du moment où cela ne touche pas à la dignité des peuples ou à leur sécurité.
 
Le Magazine.info : Quel est l’avenir des mouvements tels que le Hamas, le Djihad Islamique ou le Hezbollah ?
 
Barah Mikhaïl : Le Hezbollah a déjà un rôle politique puisque 12 de ces députés au Parlement libanais. Pour ce qui est des Territoires Palestiniens, le Hamas, le FDLP et le FPLP aspirent à un rôle politique d’autant qu’ils sont en phase avec une grande partie de la population. Soit on laisse ces formations exister et devenir des partenaires, soit on s’oriente vers un modèle à l’algérienne. Le FIS avait été écarté et une guerre sanguinaire nationale s’en est suivie. Il existe beaucoup d’a priori au sujet des partis islamistes, mais il suffit de regarder les islamistes turcs au pouvoir pour constater que ce ne sont pas des dictateurs.
 
Le Magazine.info : La démocratisation assurera-t-elle la stabilité de la région ?
 
Barah Mikhaïl : Le Liban, par exemple, a une structure confessionnelle telle que le processus politique libanais est incapable d’évoluer. La configuration des institutions et le partage du pouvoir sont basés sur un recensement datant de 1932. Aujourd’hui, les Chrétiens sont minoritaires, mais on risquerait de provoquer de graves troubles si l’on modifiait la Constitution. Il y a beaucoup de questions à se poser sur les définitions de la démocratie : qu’est ce qui fait que le système américain est meilleur que le système français ? La définition de la démocratie est complexe et il est difficile d’être trop catégorique à son sujet.
 
Le Magazine.info : Aujourd’hui, les Etats-Unis encouragent-ils cette partition confessionnelle du pouvoir ?
 
Barah Mikhaïl : Dans les années 1980, Washington s’était positionné, comme Israël, en faveur d’un pouvoir chrétien au Liban. En 1993, Richard Pearl, alors conseiller de Benyamin Netanyahu, et Dick Cheney, l’actuel vice-président américain, avaient proposé un texte prévoyant la partition du Moyen-Orient.  De son côté Paul Bremmer, ancien gouverneur civil américain en Irak, a appelé les sunnites à jouer un rôle dans le nouvel Irak. Ce qui sous-entendait que les Irakiens devaient se percevoir sous l’angle de la filiation confessionnelle. Le fait de diviser pour mieux régner et l’affaiblissement des Etats-Nations contemporains fait partie de la stratégie américaine. C’est aussi une manière d’affaiblir le panarabisme et le nationalisme arabe, tout en mettant en place un système de développement économique qui bénéficie aux Etats-Unis.
 
Le Magazine.info : Cette politique n’amène-t-elle pas à l’émergence de nouvelles personnalités qui profiteraient de ce communautariste pour prendre du poids et se positionner contre les Etats-Unis ?
 
Barah Mikhaïl : Telle est précisément la place occupée par des personnalités comme Ben Laden ou Zarqaoui.  Le repli culturel, religieux ou territorial, est de toute manière inhérent aux populations. Même au sein de l’Union Européenne, où la perspective d’un affaiblissement des Etats-Nations a encouragé des replis identitaires. Il n’y a pas de raison pour que le Proche-Orient échappe à cela. D’autant que la religion et l’ethnicité y ont un poids considérable. C’est seulement au travers d’une configuration nationale, voire panarabe, que l’on pourra transcender les clivages communautaires.
 
Propos recueillis par


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Le 6 avril 2005

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