Interview d’Antoine de Caunes

Antoine de Caunes revient sur le tournage de Monsieur N. à l’occasion de sa sortie en DVD. Interview.
 

D.R
 
Le Magazine.info : Avez-vous beaucoup hésité avant d’accepter le scénario de « Monsieur N. » ?
 
Antoine de Caunes : Je n’ai pas hésité une seule seconde ! J’ai reçu le scénario un lundi soir. Je l’ai lu trois fois dans la nuit. Le mardi matin à 8 heures, j’ai réveillé les producteurs pour leur dire oui tout de suite. J’ai eu un coup de cœur total pour ce scénario ! Je l’ai lu comme on peut lire les romans d’Alexandre Dumas ou de Stevenson. Et pourtant, on sait à quel point la lecture d’un scénario peut parfois être aride. Malgré cela, je tournais les pages comme si elles me brûlaient les doigts. Non seulement, j’ai adoré le scénario, mais en plus, je n’en revenais pas de la chance qui m’était accordée. Je me disais : « Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce qu’ils me donnent cette chance-là ? ». C’était vraiment un cadeau du ciel ! Je n’ai donc pas eu une seule seconde d’hésitation, même si j’avais vraiment une trouille bleue devant l’importance du sujet.

Le Magazine.info : Qu’est-ce qui vous a le plus séduit dans ce scénario ?
 
Antoine de Caunes : Tout ! C’est un scénario de René Manzor. Il est magnifiquement écrit, et très bien construit. Il est captivant, romanesque. On tourne les pages comme dans un thriller pour savoir ce qu’il va se passer ensuite, et on ne tombe jamais dans la reconstitution historique pédante, dans le côté « statue de cire qui s’exprime par aphorisme ». On est près de l’émotion des personnages, en permanence, que ce soit du côté anglais comme du côté français. Ce sont des qualités rarissimes dans les scripts. J’en lis pas mal des scripts. Alors, lorsqu’un script de cette qualité vous passe entre les mains, et qu’en plus, on vous propose de le tourner, je peux vous dire que ça fait vraiment quelque chose. Ce qui m’intéressait avant tout, c’était de coller au plus près des personnages, de raconter une histoire autour de la question que pose Napoléon dans le film : « Comment un homme qui a eu le monde entre ces mains peut-il accepter de n’être plus rien ? ».

Le Magazine.info : Dans le film, la relation qui unit Napoléon à Cipriani, son homme à tout faire et son ami d’enfance, s’articule précisément autour de cette question.
 
Antoine de Caunes : Cipriani a été élevé dans la famille de Napoléon. On le soupçonne même d’avoir été un enfant naturel de père de Napoléon, qui était assez volage. Il est donc possible que ce soit le demi-frère de Napoléon. Il a assisté en arrière plan à toute l’aventure napoléonienne. Il était à la fois maître d’hôtel, espion, armateur, etc. Son rôle n’a jamais été parfaitement défini. De grandes inconnues règnent autour de sa personne, ce qui rend le personnage passionnant. On ne sait pas réellement qui il est. Il a véritablement accompagné Napoléon à Sainte Hélène, et il y est mort dans des circonstances assez mystérieuses. Il a été enterré sur l’île, mais 20 ans après, lorsque les Français ont récupéré le corps de Napoléon, la tombe de Cipriani, le seul Français - hormis Napoléon - à y être mort et enterré, était vide. Le corps de Cipriani a véritablement disparu, ce qui ne fait que renforcer le mystère qui tourne autour de ce personnage, et constitue l’intrigue de départ du film.

Le Magazine.info : Vous aviez qualifié le tournage de « Monsieur N. » de « tournage à haut risque », tout en évoquant « un grand frisson » ressenti par toute l’équipe.
 
Antoine de Caunes : Il était entendu dès le départ, avec les producteurs, Pierre Kubel et Marie Castille Mention Schaar, dont c’était le premier film, que nous nous lancions dans un projet ambitieux, surtout pour une première production. Les sommes réunies, en France comme en Angleterre, nous permettaient juste de fabriquer le film, mais pas de faire face à des imprévus, ou même de verser un salaire aux producteurs. Le risque était donc permanent, d’autant que nous avons construit un décor en milieu naturel, en Afrique du Sud, en plein hiver austral, au moment des tempêtes.

Le Magazine.info : Le film alterne de grandes scènes majestueuses, dans de grands espaces, avec des scènes d’une plus grande intimité. Cet équilibre a-t-il été difficile à trouver ?
 
Antoine de Caunes : L’équilibre doit venir du script. Il fallait effectivement trouver un équilibre entre le romanesque et l’intime, entre une action se déroulant dans une nature ouverte, sauvage, presque inhospitalière, et l’enfermement à Longwood, avec tous ces personnages prisonniers les uns des autres, les Français prisonniers des Anglais, et les Anglais prisonniers de cette île. Tout le monde était finalement prisonnier d’une même situation. Il fallait que cela soit perceptible dès l’écriture.

Le Magazine.info : Qu’est-ce qui vous a le plus attiré dans le personnage de Napoléon ? Sa démesure, ou au contraire, l’intimité d’un homme confronté à son destin ?
 
Antoine de Caunes : En tant qu’individu, je dois dire que la question de la réaction de Napoléon face à la perte de son pouvoir m’intéresse tout particulièrement. Comment survivre à une chose pareille ? Comment réagir lorsque venant du toit du monde, on se retrouve finalement à la cave ? Comment survivre à cela ? Il n’est pas nécessaire d’être Napoléon pour se poser ce genre de questions. Que se passe-t-il lorsque l’on est plus en mesure de jouer le personnage que l’on a été toute sa vie ? Je crois qu’il s’agit-là de questions essentielles, qui me touchent d’ailleurs tout particulièrement, puisque j’ai vécu de genre d’expérience, à un degré bien moindre que celui de Napoléon, évidemment. J’étais vraiment intéressé par l’être humain qu’était Napoléon, au-delà de son personnage d’Empereur. Je voulais savoir quelles étaient ses émotions, à lui et à son entourage, dans cet espèce d’étouffoir presque shakespearien qu’était Longwood. Il y avait tout une cour autour de ce roi déchu. Elle était là à la fois par passion et par intérêt. Je voulais vraiment que cette atmosphère pesante soit perceptible dans le film.

Le Magazine.info : La mort de Napoléon reste mystérieuse. Que vous plairait-il de croire à ce sujet ?
 
Antoine de Caunes : Je voudrais que le mystère reste entier. De plus, le fait est que l’on n’a toujours pas retrouvé le corps de Cipriani. On ne sait pas non plus ce que contiennent les rapports d’Hudson Lowe, car ils sont toujours classés secret-défense en Angleterre. Il n’y a aucun moyen d’y avoir accès, ce qui encourage d’ailleurs tous les amateurs de la théorie du complot - dont je ne fais pas partie - à imaginer qu’il s’est passé quelque chose que l’on veut nous cacher. J’ai moi-même demandé à Jean Tulard, qui est tout de même le spécialiste incontesté de la période, ce qu’il en pensait. Il m’a répondu que la seule chose certaine était que l’on ne pouvait pas garantir à 100 % que le corps de Napoléon est bien celui qui se trouve dans le tombeau des Invalides. Pour en être certain, il faudrait ouvrir le tombeau et procéder à une analyse ADN. Je pense que ce serait une erreur. Je préfère que le mystère reste entier. J’aime le cinéma. Je suis donc amateur de merveilleux et de déraisonnable. Sur ce point, une phrase de Napoléon est d’ailleurs très éloquente : « l’Histoire est un mensonge que personne ne conteste ».

Le Magazine.info : Cela semble vous laisser rêveur.
 
Antoine de Caunes : Pour moi, cette phrase est également la plus belle définition du cinéma qui puisse exister ! Dans le film, nous avons joué avec l’histoire, pour créer une fiction, même si le destin de Napoléon reste incroyablement romanesque. Son parcours est totalement fou ! C’est celui d’un aventurier qui aura tout tenté. Le 18 Brumaire, par exemple, c’était un incroyable coup de dé !

Le Magazine.info : Dans le film, Napoléon affirme que « la bataille la plus importante est la dernière ». Ne pensez-vous pas que Napoléon refusait d’admettre la réalité de sa défaite à Waterloo ?
 
Antoine de Caunes : Il ne faut pas perdre de vue que Napoléon a profité de son exil pour écrire le Mémorial de St Hélène. Il a réécrit sa propre histoire, à son avantage évidemment, tout en se posant en martyr des Anglais. Il était véritablement en attente de rédemption et le mythe napoléonien est né à St Hélène. Cet exil est donc fondamental dans l’histoire de Napoléon, car il a scellé sa légende. De ce point de vue, c’est bien Napoléon qui est sorti vainqueur de cette dernière bataille, et non pas les Anglais.

Le Magazine.info : N’avez-vous pas eu peur que le public soit surpris de vous voir à la tête d’un tel film, qui détonne totalement avec l’image habituelle que peut avoir de vous le grand public ?
 
Antoine de Caunes : C’est bien là mon éternel combat : survivre à une image qui fut la mienne par le passé. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle l’histoire de Napoléon me touche tout particulièrement, et que je suis extrêmement attaché à ce film.

Monsieur N. en DVD.

Editeur : Fox Pathé Europa

Durée : 120 minutes

Zone : 2

Audio Dolby Digital 5.1

Réalisateur(s) : Antoine De Caunes

Acteurs : Philippe Torreton, Richard E. Grant, Jay Rodan, Elsa Zylberstein, Roschdy Zem, Bruno Putzulu.

Disponible à partir du 18 novembre 2003.

22,30 euros.


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Le 26 février 2004

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