« L’Immigration n’est pas un tabou mais un atout pour la France »

Les travailleurs grévistes sans-papiers ont investi la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, à Paris, le 7 octobre, à la veille de la date anniversaire de leur première grève. Ces hommes et ces femmes, issus de l’immigration et qui travaillent en France, demandent leur régularisation auprès du Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité Nationale et du Développement Solidaire. Lemagazine.info a rencontré Sacko Fousseni, porte-parole du mouvement.


Sacko Fousseni. Photo : Mélissa Chaligne

Lemagazine.info : Quelles sont vos revendications ?

Sacko Fousseni
 : Nous demandons la régularisation et l’obtention d’un titre de séjour pour chacun des travailleurs sans papiers qui en ont fait la demande depuis l’été (1800 demandes ont été déposées le 3 août 2010). Nous travaillons tous sur le sol français et payons des impôts. Il est donc normal que nous recevions en échange la reconnaissance de l’État français car nous participons au développement économique dans sa globalité. Nous représentons tous les secteurs de l’économie française. Nous cotisons pour les retraites, et en retour nous ne sommes pas couverts en cas d’accident du travail et nous n’avons pas accès aux soins. Nous exigeons que tout cela soit remis à plat.

Nous avons certes des devoirs mais le gouvernement doit aussi respecter nos droits. La régularisation nous permettra de mettre fin à l’exploitation par les patrons, qui se traduit par des conditions de travail pénibles, des bas salaires, et d’être reconnus pour la valeur de notre travail.

Lemagazine.info : Votre mouvement n’en est pas à sa première action ?

Sacko Fousseni
 : Nous existons depuis le 12 octobre 2009, avec le soutien des « Onze » (CGT, CFDT, UNSA, FSU, Solidaires, RESF, Autremonde, CIMADE, Femmes Egalité, Droits devant, et la Ligue des Droits de l’Homme). Au départ, nous avons installé des piquets de grève dans de nombreuses entreprises en Île-de-France. Assez rapidement, vers mars 2010, les patrons ont accepté de discuter et de travailler avec nous. Puis en mai, nous avons occupé la place de la Bastille pendant plusieurs semaines, jusqu’à obtenir l’engagement du Ministère de l’Immigration d’étudier nos 1800 dossiers de demandes de régularisation et de nous délivrer une autorisation provisoire de séjour et de travail, le 18 juin. (Dans ce cadre, le gouvernement leur avait reconnu leur qualité de salariés-es et de grévistes, en publiant l’« Addendum » et la lettre n°340 du Ministère de l’Immigration, le 24 juin 2010, ndlr).

Au 6 octobre, seuls 58 titres de séjour provisoires ont été délivrés. Nous avons alors bloqué les préfectures – pour dénoncer leurs dysfonctionnements répétés qui cherchent à casser le mouvement, à nous diviser et à nous démobiliser.

Lemagazine.info : Pourquoi avoir choisi d’occuper la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration ?

Sacko Fousseni
 : Notre démarche est simple : reprendre les négociations avec le Ministère de l’Immigration pour définir ensemble des critères objectifs de régularisation (applicables sur l’ensemble du territoire, garantissant l’égalité de traitement entre les salariés et ce, quels que soient l’entreprise et le département, ndlr). Nous espérons que ces critères donneront ensuite naissance à un texte de loi. Ce lieu a un côté symbolique indéniable. Il faut que nous puissions dire sans crainte : « l’Immigration n’est pas un tabou mais un atout pour la France ». Actuellement, il y a, par exemple, une exposition sur l’histoire croisée du football et de l’immigration. Il est important que nous montrions que l’immigration ne donne pas seulement naissance à des footballeurs et au rêve qui les entoure, mais aussi et surtout à des travailleurs.

Lemagazine.info : Comment vous organisez-vous au quotidien ?

Sacko Fousseni
 : Nous avons un comité délégué de 25 personnes qui travaille en commun avec le groupe des « Onze ». Chaque jour, le comptage des grévistes doit être fait. En tout nous sommes 6804 grévistes en région parisienne, hommes et femmes, tous unis et solidaires. Puis nous nous organisons en « tours de garde ». Chacun doit être présent au moins une nuit à la Cité. Pour la vie quotidienne, la solidarité fonctionne plutôt bien : nous avons une caisse des grèves, ouverte à la générosité des personnes qui viennent nous voir. Pour le reste, les syndicats financent.

Lemagazine.info : Aujourd’hui, avez-vous un espoir de voir votre situation s’améliorer ?
 
Sacko Fousseni
 : Nous avons rencontré les représentants du Ministère de l’Immigration à plusieurs reprises depuis que nous sommes ici. Des convocations commencent enfin à tomber. Mais nous attendons de voir la tournure que prennent les choses. Aujourd’hui, la fatigue est dure à supporter, mais nous avons le soutien de 75% de l’opinion publique. Nous ne sommes pas seuls et cela nous réconforte. Lorsque nous occupions la place de la Bastille, et que le public venait nous rencontrer, il s’est rendu compte par lui-même que nous n’étions pas des escrocs. Les journalistes aussi viennent nous voir régulièrement et comprennent le sens de notre démarche. Enfin, le personnel de la Cité de l’Immigration est également avec nous. Il sait que nous ne sommes pas ici pour casser ou abîmer les locaux. Quoi qu’il en soit, nous ne lâcherons rien, c’est certain. Nous irons jusqu’au bout de notre combat.



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Le 2 novembre 2010

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