Violences sexuelles : la parole se libère

Le nombre de déclarations de violences sexuelles a doublé entre 2000 et 2006. C’est ce qui ressort d’une étude que vient de publier l’Institut national des études démographiques (Ined). Le Magazine.info a interviewé Michel Bozon, sociologue à l’Ined, qui est l’un des coauteurs de cette étude avec Nathalie Bajos, sociologue-démographe à l’Inserm.
 
Photo : D.R.
 
Le Magazine.info : Vous montrez dans votre enquête que les personnes victimes de violences sexuelles en parlent plus aujourd’hui qu’il y a six ans. Pourquoi ?
 
Michel Bozon : Il n’y a pas eu d’augmentation des faits de violence mais une augmentation de la capacité à en parler. Cela indique une augmentation du rejet, lié en partie à une mobilisation sociale et politique. C’est un thème qui est apparu sur l’agenda politique à la suite de la publication de la précédente enquête que nous avions menée en 2000. Depuis, on a lancé des politiques dans ce domaine, il y a des débats publics et toute une mobilisation qui fait que les personnes qui ont subi des violences sexuelles peuvent l’exprimer plus facilement.
 
Le Magazine.info : Les violences sexuelles qui ont lieu à l’intérieur de la famille s’expriment plus facilement, alors que les violences du fait du conjoint ou du partenaire restent encore peu déclarées. Comment l’expliquez-vous ?
 
Michel Bozon : C’est un des arguments qui nous fait dire que les choses peuvent encore changer. Même si ce chiffre peut paraître élevé - 16% de rapports forcés ou tentatives de rapports forcés que déclarent les femmes au cours de leur vie - il est probable que cela peut encore augmenter car les déclarations de violence de la part du conjoint restent plus difficiles à exprimer. Il y a toute une série d’indicateurs qui montrent qu’il est beaucoup plus difficile d’en parler, encore aujourd’hui, alors que ça a changé pour les violences à l’intérieur de la famille. Une loi sur l’éloignement du conjoint ayant infligé des violences à conjointe a été prise en 2006, peu après notre enquête. Nous n’avons pas encore les moyens de connaître l’effet de cette mobilisation dans l’état d’esprit des gens.
 
Le Magazine.info : On constate paradoxalement peu de plaintes auprès des services de police. Pourquoi ?
 
Michel Bozon : En 1980, il n’y avait que 2000 plaintes. Au début des années 2000, il y en avait 10 000 et ce chiffre est resté stable depuis. Même si ce nombre est important, il traduit une proportion relativement faible du nombre d’actes qui sont produits en une année, soit environ 10%. Il y a là un paradoxe : cette augmentation des déclarations n’aboutit pas principalement à un recours judiciaire, puisque le nombre de plaintes n’augmente pas. Cela pose une autre question : comment compléter cette réponse judiciaire, puisque au fond 90% des faits ne correspondent pas à une plainte des individus ? Notre hypothèse est qu’il faut compléter la réponse judiciaire par d’autres réponses. Non pas la substituer, mais la compléter, en particulier lorsqu’il y a violence sexuelle de la part du conjoint. Ce sont par exemple des dispositifs d’accompagnement, de recours et d’aide beaucoup plus proches des personnes agressées. Tout cela a un coût et relève d’une politique sociale plutôt que d’une politique strictement judiciaire.
 
Le Magazine.info : Vous montrez que le pourcentage le plus élevé se rencontre chez les filles de cadres, à hauteur de 10%. Cela signifie-t-il que les violences sexuelles sont plus fréquentes chez les cadres ou s’agit-il de la catégorie de population qui déclare le plus ces violences ?
 
Michel Bozon : C’est un effet de déclaration. Ces agressions sexuelles sont présentes dans toutes les catégories sociales. Cette tendance des femmes des milieux sociaux les plus élevés à déclarer plus les violences sexuelles commence à se réduire dans les générations les plus jeunes. Il s’agit probablement d’un effet de cette mobilisation sociale, c’est-à-dire que ce ne sont plus seulement celles qui ont les ressources culturelles les plus élevées qui arrivent à déclarer ces violences. C’est l’élément nouveau de notre étude. Ceci dit, je n’insisterai pas particulièrement sur les différences. Ce qui nous paraît important ici est de dire et de répéter que cela touche toutes les catégories sociales, car il y a toujours une idée implicite chez beaucoup de gens selon laquelle c’est une chose qui arrive aux pauvres. C’est une interprétation misérabiliste. Il s’agit bien d’une violence de genre qui touche des individus de toutes les catégories sociales. Ce n’est pas une violence de classe.
 
Le Magazine.info : Il ressort aussi de votre enquête que les violences sexuelles sont le fait de personnes connues.
 
Michel Bozon : Les agressions sexuelles d’inconnus sont toujours une minorité. Les agresseurs inconnus représentent 17%, et cela décroît dans les générations les plus récentes. Cela va à l’encontre des représentations traditionnelles selon laquelle la violence sexuelle est toujours le fait d’un homme inconnu dans la rue. C’est totalement faux, ce type d’agression n’a jamais été qu’une minorité, et cela continue à l’être. Il y a une médiatisation qui tort complètement la perception qu’on peut avoir des événements de violence.

1. Cette étude fait suite au livre paru aux éditions La Découverte, Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, sous la direction de Nathalie Bajos et Michel Bozon, Paris, 2008, 610 p.


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Le 27 juin 2008

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