Zaratustra

Une production incontournable occupe en ce moment la scène de l’Odéon Théâtre de l’Europe : le Zaratustra de Krystian Lupa, annoncé comme « un parcours méditatif en trois étapes inspiré du plus célèbre poème de Nietzsche ».


©Marek Gardulski

Quatre heures trente de spectacle, une équipe de vingt-trois acteurs, une scénographie impressionnante qui utilise toutes les ressources de la machinerie, de la vidéo et du son pour rendre vivantes les visions du prophète nietzschéen. Une fois encore, celui qu’on appelle le « maître de Cracovie » n’a pas lésiné sur les moyens pour donner forme à son intention théâtrale. Krystian Lupa est une institution. D’Edinburgh à Athènes, tous les théâtres d’Europe le financent et l’invitent, et les critiques s’emboîtent le pas pour célébrer ses « paris impossibles » et sa boulimie artistique. Non content de fédérer autour de ses projets une équipe aussi fervente que le fut naguère celle de Grotowski, il assume presque systématiquement la mise en scène et la totalité du travail scénographique, croquis à l’appui.

Poème halluciné

Une institution, donc, qui s’attaque à une autre institution : le « Zarathoustra » de Nietzsche, poème halluciné et prophétique que le philosophe quadragénaire écrivit de 1883 à 1885 après la grande déception amoureuse de sa vie (l’instable et ravissante Lou Salomé, qui lui fila entre les doigts avec des rires moqueurs). « L’homme est quelque chose qui doit être dépassé », clame depuis plus d’un siècle le visionnaire alter ego du philosophe. Pour rendre l’intensité de ce grand texte et effleurer la vie de « Fritz », le petit nom de Nietzsche, qui devait finir dans les affres de la folie, Lupa dirige ses acteurs dans un jeu intense et incarné. Trois Zarathoustra se partagent tour à tour la scène : le jeune, l’adulte, le vieux. Des prêches fervents du premier âge aux épreuves douloureuses de la maturité, jusqu’à la déchéance finale d’un fou qu’on lave dans une baignoire, le cheminement du héros est traité, comme une sorte de chemin de croix, sous forme de tableaux successifs. Peu de mises en situation, peu de « théâtre » au sens où on l’attendrait chez Molière, chez Shakespeare. Le parti pris ici est à l’étirement du temps et de l’espace, à l’image d’une mise en scène d’opéra qui compterait sur le texte, sur la puissance prophétique du texte, pour tenir lieu de partition.

C’est en ce sens que les spectateurs étrangers que nous sommes, tributaires d’un lourd surtitrage, sont pénalisés. Le lien entre le sens des mots et l’énergie du jeu (émotions, intentions, ruptures) peut malheureusement nous échapper. Malgré les nobles intentions du metteur en scène et tous les superlatifs qui entourent son projet, on reste froid, quoique impressionné, par l’effort et la débauche de moyens. En rentrant chez soi, si l’on ouvre une édition de poche du Zarathoustra de Nietzsche, on constatera que, comme toutes les grandes œuvres, il peut aussi se suffire à lui-même.


Zaratustra (en polonais surtitré), jusqu’au 27 janvier à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. D’après Friedrich Nietzsche et « Nietzsche, triolgie » d’Einar Schleef, mise en scène et scénographie de Krystian Lupa, avec Sebastian Pawlak, Zbigniew W.Kaleta, Krzystof Globisz… Location : 01.44.85.40.40 ou theatre-odeon.fr


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Le 23 janvier 2007

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